(Source : www.linkedin.com – Céline VALENSI| 17.10.18)

Arnaud Le Roux est conférencier, professeur et Conseiller au Numérique de la Mission Ecoter. Défenseur de l’éthique au cœur du numérique, Arnaud Le Roux est également membre de la brigade du web, un collectif de 9 slasheurs du Digital Français..

Arnaud collabore également avec ESight Eyewear qui aide les malvoyants à retrouver la vue grâce à des lunettes connectées.

L’Intelligence Artificielle est depuis des semaines voir des mois, au cœur de l’actualité du monde digital et la Tech Française. Deux mots qui sonnent pour certains comme le glas de la peur et pour d’autres, comme un outil puissant permettant d’ouvrir le champ des possibles.

Pour tenter d’en savoir plus sur ce phénomène, nous avons rencontré Arnaud Le Roux. Décrit comme un «slasheur» ou encore comme l’un des pionniers du Web, nous l’avons interrogé sur sa vision de l’Intelligence Artificielle, ses apports et limites au monde et surtout ses applications concrètes dans les domaines de l’économie et de la santé.

Rencontre.

CV – Arnaud Le Roux pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Certains me décrivent comme un influenceur, mais je n’aime pas ce terme. Je préfère me décrire comme un « slasheur » du digital. En effet cela fait 22 ans que je gravite dans le domaine et que j’exerce plusieurs types d’activités (conférencier, professeur, formateur, directeur digital, mentor, consultant etc .)

Côté IA*, je ne suis pas un technicien mais plutôt orienté « usage-centric ». J’ai co-conçu plusieurs intelligences artificielles depuis octobre 2010, toujours en équipe et avec des compagnons plus orientés “technique”. Ce qui m’intéresse le plus dans l’IA ce sont ses apports et usages au quotidien. C’est pourquoi je préfère davantage parler de l’IA dans ses usages plutôt que sur le plan technique.

CV – Comment t’es venu cet engouement pour le digital ?

Mon histoire démarre il y a 25 ans, je suis alors militaire de carrière. Suite à une blessure assez grave, je me suis retrouvé alité pendant 18 mois, puis trois années et demi en fauteuil roulant. J’étais déjà très attiré par l’informatique, j’en ai donc profité pour suivre des formations afin de retrouver – une fois cette étape passée – un emploi. Durant ma formation militaire, j’ai été formé à l’analyse comportementale et j’en ai gardé une grande appétence pour les sciences humaines.

J’ai tellement apprécié ce sujet que j’ai continué à me former. J’ai eu cinq années d’immobilisation pour me former en autodidacte sur les sujets liés au cerveau humain, aux biais cognitifs et plus largement ensuite aux neurosciences. J’interviens d’ailleurs en tant que conférencier sur le thème des biais cognitifs et sur les comportements humains, en intégrant l’éthique au cœur du débat sur le digital.

Pour finir sur cet engouement, je dirai que dans les années qui ont suivies, tous les sujets du digital m’ont attiré, ou presque. Je suis devenu “accro” à chaque verticale du digital, chaque brique qui venait compléter cet éco-système très large et de plus en plus complexe. J’ai travaillé très tôt dans le domaine de l’Internet, mais aussi très tôt dans la mobilité, sur les réseaux sociaux, l’ IA, les voitures autonomes, la réalité augmentée etc. J’ai toujours voulu éprouver chaque sujet afin de pouvoir mieux en parler, en retrouver “l’essence” et l’utilité du digital pour les “humains” de demain.

Mais l’ IA a toujours eu une place à part. Elle est celle qui peut re-structurer entièrement la société que nous connaissons aujourd’hui. Celle qui peut nous faire beaucoup de bien, comme du mal.

CV – Aujourd’hui justement le sujet fait peur. Certains sceptiques pensent qu’il s’agit d’un destructeur d’emplois et d’autres comme vous, acteur influent du digital, pensent qu’au contraire, bien utilisé, il peut être un véritable apport quotidien pour l’Homme et pour l’économie. Qu’en pensez-vous ?

Je tiens à rappeler que l’IA existe depuis plus de 70 ans. Le mouvement a démarré aux États-Unis avec deux approches (le connexionnisme et le cognitivisme) mais aussi avec des hommes comme Alan Turing, qui poseront le socle et les premières bornes de ce qui deviendra l’IA.

Tous ces ingénieurs se sont penchés sur la question de savoir comment automatiser certaines tâches sans valeur ajoutée, mais aussi sur la notion centrale de traduction des pensées et du langage. Cela amènera d’ailleurs très vite Alan Turing à créer son fameux test basé sur un jeu d’imitation.

A mon sens, l’IA a toujours été qu’un grand programme d’automatisation de tâches induites par le cerveau humain dans une volonté de gain de temps. Programmées par l’homme, les IA ne font que ce que nous sommes nous-même capables de faire, mais en traitant une masse de Data beaucoup plus importante dans un laps de temps plus restreint.

Pourquoi est-ce que je rabaisse ainsi cette terminologie ? De mon point de vue, l’intelligence humaine est beaucoup plus complexe car elle contient l’intelligence relationnelle, les interactions émotionnelles avec les autres, votre part d’irrationalité aussi, ce qu’une IA ne peut toujours pas reproduire aujourd’hui.

L’IA c’est donc un énorme programme qui automatise les tâches du cerveau, s’appuyant sur une Data massive dans le but de la traiter, la sublimer, l’exploiter allant jusqu’à « prédire » l’avenir. L’IA a cette capacité de traiter des informations massivement en un temps record là où l’humain mettrait beaucoup plus de temps.

Nous pouvons également ajouter que l’IA, dans sa version évoluée c’est-à-dire non plus dans sa capacité à traiter des données massives mais dans sa version « learning » est conçue maintenant pour apprendre. Donc enseigner aux autres, ce qui est aussi une forme d’intelligence. Et grâce à des couches encore plus profondes, soit le « deep learning», elle peut aussi faire des corrélations… ce qui la rend un peu plus intelligente qu’il y a 70 ans. Je m’amuse d’ailleurs parfois à comparer les trois niveaux de l’IA aux trois cerveaux humains (reptilien, limbique et neocortex)…

Dans son utilisation non maîtrisée, une IA peut aussi devenir dangereuse. Nous pouvons citer cette expérience de l’IA de Microsoft -notre chère et tendre Tay- qui est devenue raciste, sexiste et xénophobe en passant quelques heures sur les réseaux sociaux.

L’IA reçoit aujourd’hui de la Data brute transmise selon nos informations, nos habitudes, notre façon de formuler les choses… L’IA est uniquement dans le « mimétisme » ou la reproduction des biais humains sans aucune capacité d’analyser les informations d’un point de vue de l’éthique ou de la morale. Elle a une grille de lecture mathématique, binaire, qui la rend déficiente à ressentir. … Ressentir ! Ce qui nous permet d’arrêter d’analyser micrologiquement mais de humer, d’être macrologiques … de ressentir !

Alors devant cette perception humaine de l’intelligence artificielle et de sa froideur, voir d’histoires que l’on entend à son sujet, comme celle de Tay, bien en effet, les gens prennent peur. Mais je pense qu’à l’inverse, si nous expliquons ce que peut apporter l’IA de positif dans la société, alors les gens seront plus rassurés.

Pour clore ce sujet, je pense que nous sommes obligés de mettre des garde-fous et des limites à l’usage de cette IA.