Rencontre avec Jean ROTTNER, Président de la Région Grand Est
« La « covid-19 » a pointé la nécessité d’un débat, tant sur la conduite des politiques de santé publique en France que sur la nécessité d’une décentralisation renforcée dans le cadre d’une gestion de crise efficace. »
Médecin urgentiste de formation, Jean Rottner, Président de la Région Grand Est et Vice-Président de la Mission Ecoter, revient sur la crise sanitaire, ce « rouleau compresseur », qui a frappé le pays, et plus particulièrement son territoire. Entre lucidité et espoir, tout en se félicitant de la formidable solidarité citoyenne qui aura marqué individuellement et collectivement chacun de nous, Jean Rottner se projette vers l’avenir.
Mission Ecoter : Jean Rottner, médecin urgentiste de métier, cette crise du covid-19 nous a indéniablement bousculée, quels espoirs portez-vous sur le monde d’après ?
Jean Rottner : La crise sanitaire a engendré un choc économique très important qu’il ne me semble pas nécessaire de décrire ici tant nous en observons quotidiennement les effets. Pourtant, derrière le brouillard, j’ai la conviction que la mise à l’épreuve que nous subissons est aussi une chance pour l’avenir.
La pandémie a été l’occasion de manifestations de générosité et de solidarité, deux valeurs qui cimentent une société et qui n’ont que trop souvent cédé à l’individualisme au cours de notre histoire contemporaine. L’obstacle que nous avons communément à surmonter nous a contraint à nous entraider, à aller vers les autres, à les prendre davantage en considération, à ne faire qu’un.
Par ailleurs, alors que notre système de soins, de même que notre organisation administrative, ont pu montrer leurs limites à de nombreuses occasions, la « covid-19 » a pointé la nécessité d’un débat, tant sur la conduite des politiques de santé publique en France que sur la nécessité d’une décentralisation renforcée dans le cadre d’une gestion de crise efficace.
Nous sommes tous fatigués par la persistance de ce contexte morose.
M.E. : L’État opte pour un déconfinement progressif, comment entrevoyez-vous les dispositions à mettre en place pour éviter un 3éme confinement ?
J.R. : Alors que les commerces dits « non-essentiels » viennent tout juste de rouvrir leurs portes, on a partout assisté à un regain de fréquentation des centres-villes et des différents points de vente à nouveau accessibles au public. Il est évident que, pour ceux qui ont subi la mise à l’arrêt de leur activité professionnelle quelques semaines avant Noël, nous ne pouvons que nous réjouir de ce retour des consommateurs, pour autant, il est indispensable que les emplettes s’effectuent dans le plus strict respect des mesures sanitaires.
La première phase du déconfinement, elle, prendra effet au 15 décembre 2020. Chacun attend ce retour à la normale avec une vive impatience et, à quelques jours des vacances scolaires et des fêtes de fin d’année, c’est bien légitime. Si nous voulons conserver notre liberté retrouvée et pouvoir profiter à nouveau de nos proches, des lieux de culture, de cultes, des installations sportives et nous remettre à fréquenter les espaces de convivialité, il est indispensable que nous soyons prudents. Conservons le masque et veillons à observer scrupuleusement les gestes barrières. Pour une fois, consentons à passer les réveillons en comités restreints, à limiter les déplacements lorsque cela est possible et à nous faire tester en cas de doute.
Nous sommes tous fatigués par la persistance de ce contexte morose mais, si nous maintenons notre vigilance, il ne fait aucun doute qu’un retour à la normale se fera jour. Le vaccin est proche et la déroute du virus imminente.
Je ne dis pas que cet état de fait rend caduque la mondialisation mais seulement qu’il implique que nous réfléchissions à la production locale de produits et denrées stratégiques.
M.E. : Cette crise sanitaire a eu des retombées désastreuses tant au niveau national, européen que mondial, êtes-vous de ceux qui préconisent la démondialisation ?
J.R. : Au plan économique, la mondialisation a substantiellement consisté à créer de longues chaînes de valeurs à travers le monde afin d’optimiser les avantages absolus de chaque pays. Cette dynamique n’a rien de récent.
Il me semble pouvoir dire que ce mode d’organisation des rapports de production a plutôt bien fonctionné jusqu’à présent en permettant de tirer les coûts vers le bas. Mais la crise sanitaire a fortement réduit les échanges internationaux, l’atelier monde étant à l’arrêt. Oui j’ai appelé de mes vœux, et ce dès le printemps, la relocalisation de notre outil de production. Est-il normal que la cinquième puissance mondiale ne soit plus capable de produire du paracétamol ? Devons-nous nous satisfaire de ne pas avoir pu répondre, à l’échelle européenne, à un besoin de masques chirurgicaux ? Je ne dis pas que cet état de fait rend caduque la mondialisation mais seulement qu’il implique que nous réfléchissions à la production locale de produits et denrées stratégiques.
Ainsi, en ce qui concerne l’agro-alimentaire, je me fais le fervent défenseur des circuits courts. Nous avons, en Région Grand Est, des femmes et des hommes qui produisent des produits de qualité exceptionnelle que nous avons à valoriser, en assurant par exemple un approvisionnement en proximité des cantines des lycées que nous gérons. Tel est l’un des objectifs du « THD de l’alimentation ».
De nombreuses entreprises ont montré qu’elles étaient en mesure de s’adapter très rapidement à la conjoncture de crise, nous devons exploiter au maximum cette agilité, c’est notre force !