SÉCURITÉ : LES COLLECTIVITÉS DOIVENT-ELLES S’ENGAGER ?
Depuis quelques années, face au désengagement de l’Etat, les élus locaux s’interrogent sur la nécessité ou non d’investir en matière de sécurité. Cette interrogation est diverse selon les réalités locales, la demande des habitants en la matière, mais aussi la réflexion personnelle des maires :
- certains restent attachés à la « dimension régalienne » de la sécurité et refusent de se substituer à l’État ;
- d’autres, notamment en zone urbaine dense, s’engagent pour compléter voire suppléer, les forces de Police Nationale ou de Gendarmerie.
L’histoire de notre pays nous montre que cette dualité n’est pas nouvelle et qu’elle a fluctué selon les époques ou les régimes :
- sous l’Ancien Régime, le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique était l’affaire du pouvoir local ;
- sous la Révolution, la première Constituante a confirmé cette position. La loi du 14 décembre 1789 dispose que «les municipalités sont maitresses de la force publique et disposent des pouvoirs de police, sans aucun contrôle de l’autorité centrale » ;
- après 1789, on voit s’opposer alternativement deux conceptions de la police :
une tendance centralisatrice et régalienne sous le Consulat, les Premier et Second Empires ;
une volonté plus décentralisatrice, avec la Monarchie de Juillet (qui reconnait aux communes le 18 juillet 1837 des droits de Police) ou encore avec la IIIème République qui, le 5 avril 1884, « restitue aux Maires des communes, la plénitude des pouvoirs de police municipale et générale, tels que dévolus par la législation de l’Assemblée Constituante de 1789 ». Encore faut-il souligner que l’État conserve des moyens importants de surveillance et de contrôle des polices municipales dont il transfère, de plus, la responsabilité et la charge des dépenses afférentes aux collectivités.
Plus près de nous, à partir des années 1980, les Maires se sont vus attribuer des responsabilités nouvelles en matière de prévention de la délinquance avec la mise en place des C.C.P.D. (Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance), qu’ils président. Ce rôle pivot du premier magistrat de la commune est conforté par la L.S.Q. du 15 novembre 2001 qui précise « le Maire est associé à la définition des actions de prévention de la délinquance et de lutte contre l’insécurité ».
La dualité entre régalien et décentralisation perdure avec la LOPS du 21 janvier 1995 qui a reconnu la sécurité «comme un droit fondamental », l’État ayant « le devoir d’assurer la sécurité, en veillant sur l’ensemble du territoire de la république, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre public, à la protection des personnes et des biens ». Rappelons que c’est une loi du 9 juillet 1966 qui a institué la Police Nationale mettant ainsi un terme à la coexistence pendant plus d’un siècle de différents corps de police.
Parallèlement, suite au rapport Bonnemaison de 1982, la loi du 15 avril 1999 établit un véritable régime juridique pour la police municipale. Elle consolide le statut des agents, fixe les règles relatives à leur nomination, leur formation et leur équipement. Elle précise les compétences qu’ils détiennent en matière de police judiciaire et pose le principe de « complémentarité » par rapport aux forces de sécurité nationales au travers de conventions de coordination État/communes (texte complété par un décret du 1er Août 2003, portant code de déontologie des agents de police municipale).
Le dispositif n’a été que légèrement infléchi par la suite car la sécurité n’est plus l’apanage des seuls services de l’État qui prône un partage des rôles mais sous sa maitrise.
La LOPPSI du 14 Mars 2011 entend recomposer l’architecture générale de la sécurité avec une meilleure répartition des tâches entre les acteurs concernés pour clarifier les missions, recentrer la Police Nationale sur certaines d’entre elles. Un rôle majeur est reconnu au Maire en matière de prévention de la délinquance mais aussi de sécurité de proximité, notamment par l’encouragement à la création de polices municipales.
Le Président Macron, au travers de la Loi du 27 Décembre 2019 « Engagements et Proximité » a affiché l’ambition de renforcer les libertés locales et de confier plus de pouvoirs aux maires dans l’exercice de leurs compétences en matière de police administrative (titre 3 de la loi). De même, ce texte légitime le rôle du maire sur les questions de sécurité et de prévention de la délinquance en renforçant la coordination entre forces de sécurité d’État et services de police municipale. Ce qui a conduit certains à parler de cogestion État/communes en matière de sécurité.
Ce rappel historique et législatif montre bien la complémentarité naturelle entre le national et le local car le constat est clair : aujourd’hui l’État s’avère incapable de faire face à une tâche de plus en plus lourde et complexe du fait de la multiplication et de la diversité des formes de délinquance, de la montée d’une violence exacerbée, de la menace terroriste mais aussi d’une demande de plus en plus forte de protection de la part de nos concitoyens en matière de sécurité. De plus, les moyens budgétaires et humains dont l’État dispose, se révèlent largement insuffisants. La crise sanitaire et économique que nous subissons actuellement ne laissent pas augurer d’amélioration dans les prochaines années.
Chaque Maire se trouve donc confronté à cette difficile problématique de s’engager un peu, beaucoup, passionnément, dans la sécurité de ses concitoyens en complément de ce que peut faire l’État :
pour les plus réservés, et à minima, le maire devra recruter des médiateurs, animateurs, éducateurs de rue pour aller à la rencontre des jeunes en perte de repères ou en voie de marginalisation. Au travers de structures municipales ou associatives, il faudra « redonner du sens à leur vie », les aider à trouver un emploi, les réintégrer dans une société dans laquelle ils se sentent (ou dont ils sont) exclus ;
l’engagement suivant consiste pour le Maire à doter sa commune d’un réseau de caméras de vidéo-protection connectées à un centre municipal de supervision urbaine (C.S.U.) avec du personnel municipal formé et agréé. Ce système a l’avantage de dissuader certains petits délinquants, d’avoir une vision en temps réel des zones à risques de la commune, d’anticiper un acte de délinquance ou à défaut d’en suivre le déroulement, de le signaler immédiatement à la police nationale, gendarmerie ou police municipale (selon les cas), avec transfert des images. Celles-ci étant dans tous les cas conservées pendant la durée légale pour permettre au Juge ou à l’O.PJ., au travers d’une réquisition, de vérifier la réalité de l’infraction, d’identifier le cas échéant son ou ses auteurs et de servir d’éléments de preuve dans une procédure.
Certaines villes doublent cette installation avec une équipe dédiée et agréée pour verbaliser les infractions au Code de la Route.
enfin, la faiblesse des effectifs d’État ou leur éloignement géographique par rapport à la collectivité amènent de plus en plus de maires à décider la création d’une police municipale. Ce choix qui engage le maire et ses élus, doit intégrer le coût financier important (fonctionnement, salaires, investissement) mais aussi la recherche de candidats formés et disponibles afin d’obtenir leur agrément et leur accréditation. Une police municipale nécessite un encadrement et un recrutement de qualité, de la rigueur, une formation permanente et le cas échéant un entrainement au tir régulier. Pour réduire les coûts, certains étudient actuellement la mutualisation de policiers municipaux au sein d’une intercommunalité. C’est une voie prometteuse mais en la matière, la position de l’État mérite d’être éclaircie notamment auprès des Préfets.
Lorsque la décision de créer une police municipale a été actée, se pose généralement et rapidement la question de son armement. Cette décision est lourde de responsabilité pour les maires et l’on comprend que certains, même dans de très grandes villes, hésitent. En effet, leur responsabilité notamment pénale peut être une fois de plus engagée.
Reconnaissons que dans l’exercice de leur profession, les policiers municipaux sont, comme leurs collègues nationaux, exposés à des risques réels et quotidiens. Leur armement, encadré par une formation régulière, peut donc sembler légitime et des exemples récents ont montré l’importance de cette réalité.
Il faut d’ailleurs signaler que d’après les chiffres qui circulent actuellement, les villes seraient prêtes à recruter plus de 3.000 policiers municipaux, alors que moins de 1.000 seraient disponibles à court et moyen terme. Pour ces agents, l’armement et les primes seront donc des éléments majeurs dans le choix de leur collectivité.
A l’aube de 2021, il apparait clairement que le questionnement n’est plus de mise, les collectivités doivent investir dans la sécurité. Il appartient à chaque maire en lien avec ses élus et en fonction de sa propre histoire, de ses convictions profondes, de ses choix politiques, de la réalité sur le terrain de la délinquance et de l’attente de ses concitoyens, de s’engager plus ou moins en la matière.
Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, nous devons analyser, décider et agir. C’est notre responsabilité !
Jacques GAUTIER
Vice-Président de la Mission Ecoter
Ancien Sénateur-Maire