Cédric O à la Mission Ecoter : « La transition écologique, notamment énergétique, ne sera possible qu’avec le numérique. »

INTERVIEW – Le Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, évoque le numérique lié à la transition écologique et l’inclusion numérique.

Mission Ecoter : Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dernièrement déclaré : « Il n’y aura pas de transition écologique sans transition numérique. Et réciproquement. A nous de faire du second le remède du premier. C’est au cœur de la feuille de route que je présenterai début février avec Barbara Pompili ». Vous pourriez nous en dire plus ?

Cédric O : Ma conviction profonde est de considérer le numérique d’abord comme une chance pour la transition écologique. La transition écologique, notamment énergétique, ne sera en effet possible qu’avec le numérique. Pour une raison simple qui touche à l’essence de la transition environnementale : celle-ci repose très largement sur un problème d’optimisation sous contrainte forte de ressources limitées. Elle repose aussi sur des fonctionnements beaucoup moins centralisés et beaucoup plus répartis : c’est le cas, par exemple, avec les smart grids ou les circuits courts. Optimiser à très grande échelle et en temps réel cette répartition des ressources, particulièrement dans un contexte de pénurie, est un problème insoluble pour l’esprit humain, comme le montre très bien Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project. Il ne peut l’être que par des réseaux très performants, une très forte connexion des acteurs et une utilisation importante de l’intelligence artificielle. Je le constate d’ailleurs sur le terrain : à Angers, en Bretagne, à Marseille… le numérique sert à optimiser les utilisations des ressources en matière d’agriculture, de logistique ou encore de gestion des déchets. Nous soutenons d’ailleurs fortement ces initiatives portées par des PME et des startups notamment en mobilisant plus de 300M€ de soutien à la « Greentech ».

Nous avons aussi satisfait la demande de la Convention Citoyenne pour le Climat de mettre en place une éco-conditionnalité à l’obtention du tarif réduit de l’électricité consommée par les data centers.

Ceci étant dit, le numérique doit comme tous les autres secteurs prendre sa part dans la transition écologique et maîtriser son empreinte carbone. Bref, le numérique doit devenir plus responsable, plus sobre. Nous avons engagé par la loi AGEC de nombreuses avancées pour prolonger la durée de vie des équipements numériques (mise à disposition des pièces détachées pendant plus de 5 ans pour les petits équipements informatiques, extension de la garantie légale de conformité de 6 mois, information sur les durées de fourniture des mises à jour des équipements numériques) et que nous soutenons avec force le reconditionnement de ces équipements. Nous avons aussi satisfait la demande de la Convention Citoyenne pour le Climat de mettre en place une éco-conditionnalité à l’obtention du tarif réduit de l’électricité consommée par les data centers. Enfin, nous travaillons avec les opérateurs Telecom à des engagements en faveur de la collecte d’équipements numériques mais aussi de la transparence de leurs pratiques commerciales notamment lors du renouvellement des terminaux. Parce qu’agir pour un numérique plus sobre c’est avant tout agir pour réduire l’empreinte environnementale des équipements et à ce sujet, nous avons tous un rôle à jouer.

Au-delà de ces deux axes, nous avons aussi besoin de données précises, claires, objectives et faisant consensus, sur l’impact réel du numérique sur l’environnement. Ceci afin de développer la connaissance et d’outiller les décisions et actions collectives. Parce qu’il s’agit bien là d’agir ensemble, secteur public comme secteur privé. C’est dans cette optique que l’ADEME et l’ARCEP ont été saisies en juillet dernier pour produire une évaluation de l’impact environnemental des réseaux et proposer des mesures de maîtrise et de réduction de l’empreinte environnementale d’ici à décembre 2021.

J’annoncerai prochainement avec Barbara Pompili l’intégralité de ces mesures qui visent à faire converger les transitions numérique et écologique. Les périodes de confinement que nous avons vécues ont montré avec acuité la convergence entre ces mouvements de fond : numérique et écologie. Tous deux ont connu un saut. Le numérique comme pilier de notre société et l’écologie comme fondement nécessaire à notre survie et à celle de la nature. Je le redis : à nous de faire du premier le remède du second.

Nous portons un coup d’accélérateur sans précédent grâce au plan France Relance.

Mission Ecoter : Il y a quelques semaines vous avez présenté votre plan contre «l’illectronisme», le premier grand plan national en faveur de l’inclusion numérique. Au regard de l’accélération de la mutation numérique de l’économie et de la société provoquée par la crise sanitaire, vous pourriez nous tracer les grandes lignes de ce plan ?

Cédric O : Aujourd’hui, encore 13 millions de Français sont éloignés du numérique. Et cela, alors que l’utilisation de ces outils est devenue indispensable y compris pour garder le lien avec des proches ou poursuivre ses activités professionnelles.

Nous considérons qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’agir pour accompagner et former les Français à utiliser plus facilement Internet au quotidien. D’ailleurs, ne pas savoir faire n’est ni une honte, ni une fatalité.

Depuis 2018, l’Etat déploie une stratégie nationale élaborée avec les collectivités territoriales, les acteurs de l’inclusion numérique (opérateurs de service public, acteurs locaux de la médiation numérique, associations caritatives et travailleurs sociaux) et les entreprises ; notamment autour du déploiement du Pass numérique.

Nous portons un coup d’accélérateur sans précédent grâce au plan France Relance. Nous mobilisons une enveloppe inédite de 250 millions d’euros. Pour mémoire, le budget pour l’inclusion numérique en 2017 était de 350 000 €. L’objectif est simple : pour mieux former les Français, il faut plus de professionnels, des lieux équipés partout sur les territoires, et enfin plus d’outils pour les aidants.

  • D’abord, pour former les Français qui le peuvent et qui le veulent aux usages du numérique, nous finançons le recrutement et la formation de 4 000 « Conseillers numériques France Services ». Ils organiseront des ateliers d’initiation et de perfectionnement sur le terrain autour des besoins quotidiens : échanger avec ses proches, protéger ses données, faire son CV, acheter ou vendre un objet sur Internet, vérifier les informations qu’on reçoit, etc. Accompagner vers l’autonomie numérique, ça ne s’improvise pas. C’est un vrai métier. Nous doublons donc les effectifs et professionnalisons ce secteur pour offrir cet accompagnement au plus près des Français, dans tous les territoires.
  • En complément de cette initiative d’envergure, nous lançons un programme d’équipement des structures de proximité qui réalisent déjà ou souhaitent proposer des activités d’accompagnement au numérique, les bibliothèques, les centres sociaux, les mairies, les tiers-lieux, les associations. Nous travaillons à la conception et au déploiement de kits d’inclusion numérique accessibles et attractifs, en partenariat avec des designers.
  • Enfin, porter assistance aux Français qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas être autonomes dans l’utilisation d’Internet, nous agissons pour outiller et former les aidants. Ces aidants au profil large (travailleurs sociaux, agents du service public de proximité, agents France Services, etc.) pourront grâce à la généralisation de l’outil Aidants Connect réaliser des démarches administratives à la place de l’usager en tout sécurité. Nous mettons ainsi fin au système (carnets avec des mots de pass) qui prévalait. Au-delà, nous proposerons des ateliers de formation au numérique de ces professionnels, souvent en première ligne face aux urgences numériques.

Ce plan de relance a vraiment été construit comme une offre de services aux territoires. Nous avons d’ores et déjà acté le déploiement de plusieurs centaines de Conseillers numériques dans l’Allier, la Manche, la Seine Saint Denis, la Haute Vienne, la Sarthe…

J’invite les collectivités à se mobiliser ces outils et notamment à candidater sur la plateforme : https://www.conseiller-numerique.gouv.fr/

Nous réussirons ensemble à relever ce défi.

Interview réalisée par Alain Melka et Quentin Meullemiestre – janvier 2021