« Aujourd’hui, c’est une nouvelle organisation politique qui doit émerger, dans laquelle les territoires pourront amender et se prononcer politiquement en amont sur toutes les réformes qui concernent le quotidien des Français. »
INTERVIEW – Maire de Nice, Président de la Métropole Nice Côte d’Azur, Président de la Mission Ecoter, Christian Estrosi évoque deux sujets qui lui sont chers et plus que jamais d’actualité : les collectivités face à la crise sanitaire et la sécurité intérieure.
Décentraliser, ce n’est pas amputer l’Etat mais le renforcer.
Mission Ecoter : En cette de crise sanitaire, économique, sociale et psychologique, certains élus, tel Jean Rottner, trouvent que l’État et les collectivités locales et territoriales ne progressent pas assez ensemble, alors que d’autres, comme vous, évoquent la décentralisation. Ne sentez-vous pas une certaine lassitude chez nos élus alors que nous entamons une phase cruciale avec d’un côté la vaccination et de l’autre le plan de relance ?
Christian Estrosi : Depuis maintenant un an, les élus sont en première ligne face à la crise sanitaire. Alors que l’Etat s’est retrouvé nu et dans l’incapacité de mettre en œuvre les solutions nécessaires pour faire face à cette situation inédite, les maires ont été au rendez-vous pour protéger les habitants de leurs communes. Ce sont eux qui, les premiers, se sont mobilisés pour prendre les décisions rapides qui s’imposaient, comme par exemple fournir des masques ou mettre en place des centres de dépistage. Dans notre cas, c’est grâce à la Métropole que nous avons pu anticiper non seulement les besoins de nos concitoyens, mais aussi le suivi du virus avec la création d’une Agence métropolitaine de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques. Cette agilité et cette flexibilité qui sont caractéristiques des collectivités permettent d’adapter les mesures pour les rendre plus opérantes et correspondant à la réalité. Tout cela n’est pas nouveau, mais alors même que nous évoquons le monde d’après et les leçons qu’il faut tirer des crises que nous traversons, il est nécessaire que l’Etat se décide enfin à engager un nouvel acte de décentralisation permettant de faire des collectivités de véritables partenaires. Décentraliser, ce n’est pas amputer l’Etat mais le renforcer. Cela lui permettra d’être plus fort, plus performant, plus lisible dans son action et plus efficace pour contenir la crise économique et sociale à laquelle nous faisons face. La relance doit passer par les territoires, dans le cadre d’un nouveau dialogue entre l’Etat et les collectivités, pour favoriser la commande publique et les investissements locaux. Je crois que l’Etat l’a compris avec son plan de relance. Aujourd’hui, c’est une nouvelle organisation politique qui doit émerger, dans laquelle les territoires pourront amender et se prononcer politiquement en amont sur toutes les réformes qui concernent le quotidien des Français. Le projet de loi décentralisation qui arrive au Parlement au printemps doit permettre de tirer les conséquences de cette crise avec des mesures immédiates et concrètes de décentralisation.
Le projet de loi sécurité globale, voté en novembre dernier à l’Assemblée Nationale et qui arrive au Sénat, peut également servir de base à une grande loi qui conforte les polices municipales comme troisième force de sécurité intérieure.
Mission Ecoter : Vous semblez avoir quelques réserves sur les dernières décisions gouvernementales, au regard du Livre blanc de la sécurité intérieure publié le 16 novembre dernier, sur lequel selon vous il faudrait davantage s’inspirer, notamment je vous cite « … Pourquoi attendre 2022 alors qu’on a deux textes de loi et un Beauvau de la Sécurité pour prendre tout de suite ces décisions ? ». Il semblerait, tout comme les questions liées au séparatisme, que l’État ait bien du mal à aller au bout de certaines dispositions.
Christian Estrosi : Tout d’abord, je soutiens cette initiative. Le Beauvau de la Sécurité a une ambition louable et importante : lancer une grande concertation jusqu’en mai de tous les acteurs concernés par le continuum de sécurité. J’y suis favorable et j’entends même aller plus loin puisque j’ai lancé une grande consultation afin que les citoyens puissent apporter leur contribution. Cela permettra d’enrichir le débat, notamment sur le lien entre la police et les citoyens. Lancée il y a près de 15 jours, la plateforme enregistre plus de 500 contributions qui vont de l’élargissement des compétences, à l’augmentation des effectifs, en passant par la multiplication de la vidéo-protection. Je remettrai un rapport fin mars reprenant ces contributions à Gérald Darmanin. Je regrette cependant que les représentants des polices municipales n’aient pas été associés aux réflexions et espère qu’ils le seront aux travaux à venir. Mais d’une manière plus générale, je m’interroge sur le calendrier et la nécessité d’attendre l’année prochaine pour qu’une grande loi entre en discussion. Le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre dernier par Gérald Darmanin pourrait d’ores et déjà servir de base à des mesures immédiates dans les textes qui sont actuellement en discussion au Parlement comme par exemple le projet de loi séparatismes. Le projet de loi sécurité globale, voté en novembre dernier à l’Assemblée Nationale et qui arrive au Sénat, peut également servir de base à une grande loi qui conforte les polices municipales comme troisième force de sécurité intérieure. Ce qu’attendent les citoyens, ce ne sont pas des outils de réflexion, mais bien des mesures concrètes qui nous permettent d’avancer rapidement. Sur toutes ces questions, je dis au Président de la République qu’il a tout intérêt d’entendre les Maires et de les associer. Il peut trouver chez eux des relais, dans une logique de dépassement, qu’il n’aura pas dans la représentation nationale compte tenu du calendrier électoral.
Propos recueillis par Alain Melka et Quentin Meullemiestre