“Concrètement nous proposons à des parents, en lien avec des équipes de collèges, de suivre des formations courtes ou longues au numérique…”

INTERVIEW – Président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel évoque la crise sanitaire, les outils numériques scolaires et les J.O. 2024

Mission Ecoter : Monsieur le Président, avec cette crise sanitaire, sociale et économique, la territorialisation n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt dans le sens où on a le sentiment d’une vraie régression de la décentralisation ?

Stéphane Troussel : J’ai plaidé depuis le début de la crise pour une mise en place de politiques adaptées aux enjeux spécifiques de la Seine-Saint-Denis, car on voit bien que les actions sont efficientes tant qu’elles sont adaptées au territoire. Je prends l’exemple récent de la vaccination : l’application d’un même modèle de prise de rendez-vous sur les plateformes en ligne peut fonctionner à Paris où des personnes sont suffisamment à l’aise avec le numérique ou peuvent se faire aider, mais en Seine-Saint-Denis où de nombreuses personnes sont soit isolées, soit éloignées des canaux d’informations, soit victimes de la fracture numérique, et bien ça ne fonctionne pas. C’est pourquoi nous avons ouvert à Bobigny avec la CPAM un centre dédié aux personnes précaires de plus de 75 ans habitant en Seine-Saint-Seine, que nous appelons directement pour la prise de rendez-vous, où que nous avons lancé un bus qui va vacciner directement auprès des publics, notamment dans les résidences autonomie.

Globalement les collectivités, Départements comme villes, ont su démontrer leur efficacité et leur ingéniosité depuis le début de cette crise, y compris pour pallier les manquements de l’État qui peinait à s’organiser. Et si le travail avec les services déconcentrés de l’État a été continu et globalement efficace, la leçon à retenir c’est que les collectivités et acteurs locaux ne peuvent pas mener des actions pertinentes et efficaces si l’État ne leur délègue pas pleinement la capacité de le faire, et notamment les moyens financiers de le faire. La décentralisation, ce n’est ni la loi de la jungle ni le centralisme autoritaire.

M.E. : Le Conseil Départemental de la Seine-Saint-Denis est très actif en termes de politiques numériques, en effet, il se mobilise contre la fracture numérique en proposant des formations aux outils numériques scolaires parents des collégien.ne.s afin de suivre au mieux la scolarité de leur enfant, pouvez-vous nous en dire plus ?

S.T. : La crise sanitaire, et plus particulièrement la fermeture des établissements scolaires en mars 2020 qui a contraint des milliers d’élèves à suivre l’école depuis leur domicile, est venue jeter une lumière crue sur la fracture numérique que nous savions déjà présente en Seine-Saint-Denis. Le Ministre de l’Education avait parlé de 5% de décrocheurs, mais je n’y ai jamais cru s’agissant de la Seine-Saint-Denis. La réalité c’est que de très nombreux élèves ont décroché notamment parce qu’ils n’avaient pas les outils nécessaires pour assurer leur continuité pédagogique : pas d’accès à internet, plusieurs enfants pour un seul ordinateur, pas d’outils informatiques… Dans un premier temps, nous avons donc cherché à répondre à l’urgence de la situation afin d’éviter autant que faire se peut les ruptures. Ainsi, nous avons mis à disposition des élèves les15 000 tablettes présentes dans nos collèges et leur avons distribué 1 800 cartes SIM et 800 ordinateurs, en partenariat avec Emmaüs Connect et avec le soutien de BNP Paribas Personal Finance.

Face à la durée de la crise et de ses conséquences nous avons ensuite voulu aller plus loin. Lors de l’adoption par le Département de notre Plan de rebond solidaire et écologique pour la résilience du territoire, à l’été 2020, nous avons ainsi consacré un volet spécifique de plusieurs millions d’euros à l’accessibilité numérique. Cela nous a notamment permis de soutenir Emmaüs Connect à hauteur de 500 000 euros, avec la CAF de Seine-Saint-Denis. Concrètement nous proposons à des parents, en lien avec les équipes des collèges, de suivre des formations courtes ou longues au numérique, en fonction de leurs connaissances, afin dans un premier temps de lutter contre l’illectronisme et dans un second temps de les former aux outils numériques scolaires pour leur permettre de mieux suivre la scolarité de leur enfant.

M.E. : Dans l’optique de l’organisation des J.O. de 2024, quel en sera selon-vous l’impact économique et humain pour votre département et comment le Conseil Départemental se prépare-t-il à cet événement planétaire ?

S.T. : Quand j’ai engagé la Seine-Saint-Denis dans la candidature de Paris aux Jeux de 2024, je n’avais qu’un objectif en tête : celui de l’héritage ! Parce que pour nous ce qui importe le plus au-delà des 30 jours de compétition ce sont les 30 ans qui suivront. Les Jeux doivent être un accélérateur sans précédent des transformations de la Seine-Saint-Denis

Leur héritage sera massif et concret pour les habitants de la Seine-Saint-Denis : un cadre de vie amélioré avec davantage de logements y compris sociaux, des espaces verts agrandis ou réaménagés, des franchissements autoroutiers, des équipements sportifs rénovés ou créés… Il sera aussi immatériel, avec des emplois créés notamment dans la filière du BTP ou des services. Nous y veillons particulièrement, notamment grâce aux engagements inscrits dans notre charte commune avec la Solideo et qui établit l’obligation que 10% des heures travaillées en insertion et 25% des marchés soient accessibles aux TPE-PME et structures de l’ESS du territoire.

Enfin, de façon plus symbolique mais tout aussi importante, les Jeux représentent pour nous un moyen de faire évoluer l’image et le regard porté sur notre territoire. Nous allons nous donner les moyens concrets de rendre les habitants fiers de la Seine-Saint-Denis au moment où le monde entier aura les yeux rivés sur notre territoire. Je le dis souvent en forme de boutade, mais je crois qu’on pourra parler des « Jeux de Seine-Saint-Denis 2024 ».

Propos recueillis par Alain Melka et Quentin Meullemiestre