« Rebondir et se réinventer après un choc industriel »

Président de la Communauté d’Agglomération Béthune-Bruay Artois Lys Romane, Maire de Béthune, Olivier Gacquerre mise sur l’industrie pour donner un nouvel élan à son territoire. Et quand on évoque la crise sanitaire et économique qui touche notre pays, Olivier Gacquerre croit fermement, à l’esprit d’initiative, au sens du collectif, aux enjeux du numérique dans l’industrie et à l’accompagnement de la transformation de cette industrie, qui passe nécessairement par la capacité des territoires à se réinventer. Rencontre avec un fervent défenseur des territoires et leur dynamisme.

Mission Ecoter-France et Territoires Numériques : Monsieur le Président, en septembre 2020, vous avez dû faire face à l’annonce de la fermeture du site de Bridgestone à Béthune qui employait près de 900 salariés. Quel signal cet évènement envoie-t-il à vos yeux pour le devenir de l’industrie dans les territoires ?

Olivier Gacquerre : Avec les salariés de Bridgestone, qui ont fait preuve d’une attitude en tout point digne et exemplaire, nous avons considéré ce choc industriel comme un défi. Défi local d’abord avec la négociation d’un PSE qui devait permettre aux salariés d’être suffisamment armés pour retrouver un emploi au plus vite. Défi plus large parce que cet évènement brutal est un symbole de la nécessaire reconquête industrielle dans notre région et dans notre pays. C’est ainsi, qu’avec tous nos partenaires, nous essayons de démontrer que l’industrie a de l’avenir sur nos territoires qui ont déjà su dans le passé surmonter des circonstances analogues. Nous avons, ici, la chance d’avoir une capacité de résilience et de rebond impressionnante. Il nous faut aujourd’hui nous inscrire résolument dans les transitions technologiques, écologiques, énergétiques, numériques auxquelles tous les territoires sont confrontés. Le premier atout pour notre territoire est celui du savoir-faire de nos salariés, les employés de Bridgestone en étant le premier symbole et nous contribuons, au côté de Pôle emploi, à leur reclassement qui est en bonne voie. Nous pouvons aussi nous appuyer sur un tissu de PME PMI exceptionnel dont nous avons pu mesurer tout le potentiel de développement en menant, avec l’appui de la plateforme d’ingénierie EY, mise à disposition par l’ANCT, un travail d’accompagnement d’une grande finesse. Notre territoire compte ainsi 165 sites industriels dans des secteurs d’activité variés qui se démarquent au travers de leur réactivité, de leur flexibilité et de leur haute technicité. Et ces industriels sont en mouvement permanent, ils innovent, ils investissent, ils créent de la valeur pour notre territoire et bien au-delà. Près de 80 projets de développement ont ainsi été identifiés et plus de 40 sont déjà lauréats de France relance.

« Sans nous immiscer dans l’initiative privée, il est de notre rôle, en tant qu’élus, d’accompagner les entreprises à réinventer leur modèle et à faciliter l’émergence de nouvelles filières. »

Mission Ecoter-France et Territoires Numériques : Dans quel état d’esprit sont justement aujourd’hui les acteurs économiques de votre territoire, à la suite de la crise sanitaire et de ses répercussions sur l’économie ?

Olivier Gacquerre : Je tiens à le souligner et à les en remercier. Nos acteurs économiques sont pleinement investis et motivés et ont parfaitement compris la nécessité d’adapter leurs outils de production et leurs organisations de travail. Sans nous immiscer dans l’initiative privée, il est de notre rôle, en tant qu’élus, d’accompagner les entreprises à réinventer leur modèle et à faciliter l’émergence de nouvelles filières. C’est dans cette logique que doit s’incarner la réindustrialisation de nos territoires. Nous devons déjà être au rendez-vous de l’enjeu de la relocalisation d’activités stratégiques, parfaitement illustrée par un projet comme ACC (co-entreprise de Stellantis, Saft et Daimler), qui va créer en 2023 sur notre territoire la première Gigafactory européenne de fabrication de batteries électriques. Mais nous devons aussi et surtout développer de nouveaux modèles économiques dans une logique de logistique verte, d’artisanat de production ou encore d’économie circulaire. A l’échelle d’une agglomération comme la nôtre qui rassemble 280 000 habitants, nous regardons par exemple les liens potentiels entre la collecte et le traitement des déchets plastiques et les entreprises de transformation plastique, particulièrement représentées sur notre territoire.

Certains projets particuliers méritent d’être soulignés à cet égard : c’est ainsi que notre territoire accueille le site de production de l’isolant Métisse® fabriqué à partir de vêtements usagés, dont nous accompagnons la réimplantation d’une filature de lin sur Béthune, tout comme le développement d’un site destiné au reconditionnement de près d’un million de pneus chaque année. Ce dernier va s’implanter directement sur l’ex-site Bridgestone pour lequel nous travaillons ardemment à sa revitalisation. Ces divers exemples illustrent parfaitement l’étendue du champ des possibles en la matière. La dynamique de l’emploi est d’ailleurs à la hausse puisque notre taux de chômage sur notre bassin d’activité est en baisse. C’est un signal encourageant !

« Les enjeux du numérique dans l’industrie sont en effet colossaux et concernent aussi bien les grands groupes industriels que le réseau de sous-traitants qui sont souvent des PME très spécialisées. »

Mission Ecoter-France et Territoires Numériques : Comment appréhendez-vous alors cette nécessité d’accompagner les industriels à se réinventer ?

Olivier Gacquerre : C’est une chance, nos entreprises sont particulièrement proactives. Sur les 78 projets d’investissements industriels accompagnés sur le territoire au premier semestre, nous avons identifié 17 projets touchant de très près les logiques d’écologie industrielle (économies d’énergies, gestion de l’eau, impact carbone de l’activité…) et 42 projets portant sur les enjeux de l’industrie 4.0. A titre d’illustration sur ce dernier point, nous les aidons par exemple à échanger dans le cadre d’un club de l’industrie du futur. Les enjeux du numérique dans l’industrie sont en effet colossaux et concernent aussi bien les grands groupes industriels que le réseau de sous-traitants qui sont souvent des PME très spécialisées. Ils vont également au-delà des aspects de formation et de cybersécurité en générant de nouvelles méthodes, de nouveaux processus autour de « l’agilité ». Dans ce sens, Il y a plusieurs principes fondamentaux à suivre. Il s’agit d’abord d’accompagner le mouvement de l’Open Innovation à un niveau territorial pour que les acteurs de l’industrie partagent et mutualisent leur R&D. Cette idée de coopération pour développer des stratégies communes de croissance partagées est relativement nouvelle. Elle doit être formalisée pour soutenir les projets d’intraprenariat et d’implantation de nouvelles entreprises. Notre cluster/incubateur « Territoire Intelligent » labellisé « Parc Innovation et Rev3 » et qui se structure actuellement, joue un rôle majeur en ce sens. De même, le numérique offre sans cesse des ressources nouvelles pour innover ; il n’est donc possible de réinventer l’industrie que si nous anticipons un développement de son écosystème sur des sujets comme :

  • la formation : ses filières répondent-elles aux besoins des industries, des ressources humaines ; avons-nous les ressources en adéquation avec les projets de développement de nos entreprises ?
  • les ressources mobilisables entre entreprises : avons-nous des experts en cybersécurité, en IOT, en DATA?
  • l’esprit d’entreprendre : reprise, création… nous allons lancer prochainement l’académie de l’entreprenariat pour soutenir « le leadership local » nécessaire pour entrainer et porter la dynamique industrielle,
  • le cadre de vie : sommes-nous attractifs pour répondre aux besoins des salariés, des industriels en termes d’accès à la santé, aux activités culturelles ?

Comme vous le voyez, autant de questions à se poser de sorte que l’accompagnement de la transformation des industries passe nécessairement par la capacité des territoires à se réinventer aussi en termes de service public. C’est tout le travail actuellement mené au sein de la Communauté d’Agglomération de Béthune Bruay Artois Lys Romane : intégrer les stratégies d’accompagnement économique de nos industriels au sein du projet de territoire en cours d’écriture.