Énergies : l’heure des choix politiques

La « chasse au gaspi », campagne de communication lancée à la fin des années 1970 en pleine crise pétrolière, revient en force alors que nous traversons une crise énergétique inédite bien que prévisible. La Première ministre, Elisabeth Borne, a raison d’appeler à « l’effort énergétique collectif » pour transformer notre pays, lui faire prendre conscience de l’urgence et lui faire franchir enfin un cap: celui, à la fois, d’une réduction massive de nos consommations d’énergies – c’est à dire d’un bouleversement de nos modes de vie – et d’un développement véritablement soutenable.

Oui, nous devons tous changer de logiciel. D’abord individuellement. Il est demandé à chacun d’entre nous de réduire ses consommations d’énergies et d’adopter (ou de multiplier) les gestes de bon sens (baisser la température des pièces du logement sans pour autant avoir froid, dégivrer régulièrement son réfrigérateur, éteindre la lumière en sortant, éteindre les appareils en veille, rouler en mode éco-conduite, et bien d’autres…). Nos collectivités doivent alors montrer l’exemple et envoyer des messages forts et clairs sur la maîtrise de leur consommation énergétique.

L’heure est à l’action et aux choix. Cependant, budgets contraints obligent, nos collectivités n’ont pas attendu cette crise énergétique pour agir. Au travers des Plans Climat Energie Air territoriaux, des Contrats de Transition Écologique puis des Contrats de Relance et de Transition Écologique, les communautés de communes et d’agglomération se sont fixées des objectifs de réduction des consommations d’énergie. L’Agglomération de Nevers, que je préside depuis huit ans, prévoit ainsi la réduction de la consommation d’énergie de 20 % par rapport à 2014. Il est nécessaire d’agir également sur les équipements et sur les pratiques de leurs utilisateurs. Dans chaque programme de rénovation, j’ai demandé, dès 2014, à ce que la performance énergétique soit au cœur du projet. Notre piscine d’agglomération, inaugurée en 2019, a été pensée pour être économe en énergie et en eau et conçue bioclimatique. La toiture végétalisée apporte un supplément d’isolation, assurant donc une bonne inertie thermique et limitant les besoins en chauffage. La déshumidification est garantie par une machine thermodynamique à absorption, la ventilation naturelle est complétée par une mécanique double flux, et un récupérateur de chaleur préchauffe l’eau. Et l’équipement est raccordé au réseau de chaleur de l’Agglomération, une initiative que nous ne regrettons pas aujourd’hui. Notre Maison de la Culture a bénéficié d’une rénovation thermique dans le même esprit avec des objectifs de réduction de la consommation de chauffage de 47% et un suivi énergétique accessible sur internet.

Améliorer la performance énergétique dans le patrimoine privé est aussi un axe fort de développement. L’ Agglomération de Nevers pilote à ce titre une opération spécifique sur le centre-ville de Nevers (OPAH-RU). Des dispositifs permettent aux propriétaires (pour leur résidence principale comme pour les logements mis en location) de bénéficier gratuitement et de façon neutre et indépendante de conseils techniques, d’informations sur l’ensemble des aides existantes, d’extraits de la thermographie aérienne réalisée par l’Agglomération, d’aides financières, d’aide à la constitution des dossiers de demande de subvention, d’avantages fiscaux, etc.

Les élus et les agents sont sensibilisés aux bonnes pratiques : gestion plus rigoureuse de l’éclairage et du chauffage, usage économe des outils informatiques (paramétrage de la veille des ordinateurs, extinction systématique la nuit, nettoyage des messageries électroniques…). De surcroit, nous ne consommons plus que de l’énergie « verte » depuis 2015.

Nos territoires ont donc agi bien souvent par anticipation et ont acquis une culture de la sobriété énergétique. Cette démarche multiforme est un signal fort aujourd’hui dans un contexte de hausse durable des prix des énergies.

En outre, je défends depuis des années un développement des villes médianes via le numérique et les nouvelles technologies : des solutions peuvent être mises en œuvre, notamment en matière d’éclairage public ou d’alerte sur les dérives de consommations d’énergies (compteurs intelligents). Comme l’a rappelé la Ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, « pour faire de la sobriété énergétique une réalité, nous devons miser sur le numérique et les systèmes connectés. »

Nous devons aujourd’hui aller plus loin en mettant en œuvre d’autres solutions d’urgence. Les consignes de températures peuvent être revues. A Nevers, depuis 2014, les températures sont en phase avec ce que préconise aujourd’hui le Gouvernement. L’ensemble des mesures prises nous a permis de diminuer de 30% nos consommations d’énergie. Afin d’anticiper la hausse des prix de l’énergie, j’ai décidé de baisser les températures de 1°C dès le mois de mars dernier. Mais, il est hors de question de baisser encore, notamment dans les écoles, les crèches et les différents lieux d’accueil de nos enfants. Des choix politiques s’imposent alors : que faut-il sacrifier ? Quelle est la limite acceptable et acceptée par nos concitoyens ? Le lien qui relie encore les élus à leurs administrés est fragile : ne prenons pas de décision déconnectée de l’humain. Ne cédons pas non plus à la tentation de prendre des décisions radicales qui – et ce serait la pire situation possible – n’auraient qu’un faible impact sur les consommations d’énergie et les budgets.

État, collectivités et citoyens doivent se mobiliser ; chacun d’entre nous a notre destin collectif en main. Cependant, sans remettre en cause l’utilité et l’efficacité des décisions des collectivités, des petits gestes du quotidien et des fameux « nudges » qui nous incitent discrètement à modifier nos comportements, nous ne devons pas perdre de vue la nécessité d’une politique globale ambitieuse, courageuse et efficace, centrée sur le « système » et non plus seulement sur le citoyen-consommateur. Faut-il par exemple se contenter de baisser les températures sans réfléchir à un « plan Marshall » de la rénovation énergétique de l’habitat ? Sans poser les questions de l’exploitation de nouveaux gisements de gaz, du financement du rail et de la taxation de la route, de la suppression des lignes aériennes pour les trajets qui peuvent raisonnablement s’effectuer en train ? Autant de débats auxquels nous ne pouvons nous soustraire, à l’échelle nationale et européenne, si nous voulons que nos concitoyens acceptent nos décisions locales et changent leurs habitudes. L’heure des choix politiques, à tous les niveaux, a bel et bien sonné.

Denis THURIOT

Président de Nevers Agglomération

Maire de Nevers

Conseiller régional de Bourgogne Franche-Comté