« Le développement de l’IA devra s’accompagner d’une production d’énergie décarbonée supplémentaire »

Vingt ans après l’avènement d’internet, la généralisation de l’intelligence artificielle constitue une nouvelle étape dans l’incroyable évolution des nouvelles technologies de l’information et des communications. Effet de mode ou transformation en profondeur de nos pratiques et de nos usages de tous les jours, l’IA submerge nos méthodes de pensée.

Elle touche tous les domaines : la santé, les infrastructures, l’éducation, les process de production, la vie quotidienne, l’intelligence artificielle a des applications, en théorie, infinies. Elle va permettre des gains de productivité, accélérer les processus de recherche, optimiser les ressources ; chacun y va de son analyse et nombreux sont ceux qui chantent ses louanges.

Derrière cet optimisme parfois béat se cache, comme pour toute révolution technologique, des limites et des dangers qu’il convient dès à présent d’appréhender.

L’enjeu de la souveraineté tout d’abord doit nous permettre de tirer les échecs passés. De la disparition du minitel, à la confiscation d’Internet par les géants américains à l’aube de l’an 2000, la France et l’Europe, pourtant leaders dans la recherche fondamentale, ont laissé leur destin à d’autres. Les initiatives annoncées lors du Sommet mondial sur l’IA qui s’est tenu à Paris les 10 et 11 février dernier, annoncent-elles le réveil d’un continent à la traîne face aux géants technologiques dominants (Etats-Unis) ou émergents (Inde et Chine) ?

Une solution européenne d’IA grand public est indispensable pour éviter que des entreprises peu soucieuses de nos libertés, pilotées par des États autocratiques ou sans vergogne, ne viennent piller le gisement de données de 500 millions d’habitants. Le « Big Data » est en effet aussi générateur de revenus que les gisements pétroliers.

Cette souveraineté européenne sur l’IA est aussi essentielle que la maîtrise de la physique quantique ou la fusion nucléaire.

L’enjeu du développement durable, de l’énergie et du foncier est aussi incontournable face aux besoins immenses en énergie nécessaire pour le développement de l’IA. Lors du sommet mondial, le président de la République a annoncé l’installation de 35 « data center » répartis sur le territoire métropolitain. Cette annonce rappelle le plan Messmer de création du parc électronucléaire français en 1974.

Justement, le développement de l’IA devra s’accompagner d’une production d’énergie décarbonée supplémentaire. Selon une étude de McKinsey les besoins vont tripler d’ici à 2030 ! C’est un défi spectaculaire à relever en si peu de temps. Existe-t-il des « Data Centers Verts » qui produiront leur propre énergie ? À l’heure de la bataille pour la neutralité carbone il est peu certain que le mix énergétique actuel puisse répondre rapidement à ce besoi gigantesque.

La construction des 6 premiers EPR2 ne débutera pas avant plusieurs années alors la question reste posée : où trouver ces sources d’énergie supplémentaires pour faire « tourner » tous ces data center.

Outre la consommation d’énergie, la consommation foncière restera aussi un enjeu de taille. Ces 35 sites devraient consommer 1200 hectares. Où les prendre ? Les 35 sites clés en main ciblés par l’État seront vraisemblablement exclus des règles de zéro artificialisation nette. Cette consommation supplémentaire viendra en concurrence avec les objectifs de réindustrialisation. « Giga factories » contre « data center » la ressource foncière risque d’être âprement recherchée dans certains territoires provoquant sans nul doute une hausse des tarifs pour les autres…

Enfin, l’enjeu de la démocratisation de l’IA reste total. De nombreux rapports ont pointé ces derniers temps l’existence d’une fracture numérique entre les territoires et la persistance de l’illectronisme parmi de nombreux publics, précaires ou non. Faire de l’IA un outil à la disposition de tous est une garantie quasi démocratique. Ne laisser aucun public ni aucun territoire en marge du développement de l’IA est une politique publique indispensable au même titre que le déploiement de la fibre optique.

Qui serait tenté de penser que ces nouvelles technologies ne seraient réservées qu’aux métropoles, aux grands centres de recherche et viendrait plus tard, par « ruissellement » irriguer les territoires et les publics plus éloignés commettrait une grave erreur.

Le sentiment d’abandon de certains territoires déjà alimenté ces dernières années par le populisme serait exacerbé par ces inégalités supplémentaires créant une frustration légitime. Faire de l’IA un outil de progrès pour tous sera l’enjeu des prochaines années dont devront s’emparer nos collectivités locales, nos territoires ruraux, nos PME et nos PMI.

Face à l’anxiété et à la crainte de l’avenir, nous avons la responsabilité de faire de cette révolution numérique une opportunité fantastique pour les générations futures : maîtriser son destin, réussir la sobriété énergétique et assurer un développement homogène du territoire, voilà des ambitions fortes et passionnantes ! Alors en avant !

Alain CHRÉTIEN, Maire de Vesoul et Président de l’Agglomération