« Nous osons aussi saisir de nouvelles technologies pour accélérer les déplacements et c’est le sens des navettes autonomes Made in France qui circuleront bientôt sur la zone industrialo-portuaire. »

Patrice VERGRIETE , en tant que Maire de la ville de Dunkerque et Président de la Communauté Urbaine, vous avez été un pionnier de la gratuité des transports en commun. Comment cette expérience, ainsi que votre passage en tant que Ministre délégué aux Transports, influence-t-elle votre vision de l’avenir de la mobilité urbaine et interurbaine, notamment en termes de décarbonation et d’accessibilité pour tous les usagers ?

Patrice VERGRIETE : Qualité de vie, pouvoir d’achat, accès à l’emploi, la question des transports est au cœur des préoccupations du quotidien des Français. Trop longtemps en France, l’aménagement du territoire a privilégié la voiture et « l’autosolisme » et rendu les personnes dépendantes des fluctuations du prix du carburant. Le rôle des acteurs publics est de proposer des alternatives performantes et articulées pour toutes les mobilités du quotidien, que ce soit pour aller travailler, accompagner les enfants à l’école, faciliter l’autonomie des personnages âgées ou en situation de handicap.

Face à ces besoins et à l’hétérogénéité de nos territoires, il faut faire preuve de pragmatisme. Être déterminé sur les solutions à mettre en œuvre, sans dogmatisme. La gratuité n’est pas une fin en soi. En revanche, à Dunkerque, avec une refonte complète du réseau et une offre à haut niveau de service toutes les 10 minutes, c’est la solution la mieux adaptée pour provoquer un choc de « la demande ». Il fallait une prise de conscience individuelle et convaincre tous les Dunkerquois qu’ils sont gagnants en privilégiant le bus. Et ils l’ont compris, en faisant un geste pour la planète ils soulagent leur pouvoir d’achat. Résultat : c’est +165% de fréquentation dans les bus depuis 2018.

Dans cette dynamique, alors que plus de 20 000 nouveaux emplois s’annoncent sur les 10 prochaines années pour le territoire, nous devons aller encore plus loin avec une deuxième révolution des mobilités et de la multimodalité. Le constat est simple : les accès routiers au port sont déjà fortement contraints, notamment l’A16 entre Calais et Dunkerque. Demain si on rajoute 20 000 voitures supplémentaires conduites par une personne seule à l’intérieur, on sature le port de Dunkerque. Pour éviter une telle congestion, il nous faut agir à toutes les échelles et dès maintenant. En étant labellisé service express régional métropolitain du littoral, on travaille l’amélioration de la desserte ferroviaire et l’organisation des pôles d’échanges pour les cars express, les solutions de covoiturage, les parkings relais. Depuis des mois, nous travaillons avec les industriels pour coordonner au mieux les cycles de travail et répartir les flux de salariés. Et puis nous osons aussi saisir de nouvelles technologies pour accélérer les déplacements et c’est le sens des navettes autonomes Made in France qui circuleront bientôt sur la zone industrialo-portuaire.

Peu importe où vous vivez, vous devez trouver une solution adaptée pour réaliser votre trajet en transports en commun. L’innovation au service de l’accessibilité, c’est aussi ça que permet le travail sur les mobilités !

Vous présidez l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) depuis janvier 2025. Compte tenu de votre parcours en tant qu’expert en urbanisme et de vos responsabilités passées au Logement, quelle est votre stratégie pour l’ANRU afin de concilier la transformation urbaine des quartiers avec les défis actuels liés à la crise du logement, à la transition écologique des bâtiments et à l’attractivité des villes?

Patrice VERGRIETE : Depuis plus de 20 ans, le travail de transformation urbaine mené par l’ANRU est unanimement reconnu par tous les élus locaux que je rencontre mais aussi les bailleurs ou Action Logement. C’est un modèle de gouvernance et de financement unique pour la rénovation urbaine dont je suis extrêmement fier. En réunissant en son sein les décideurs et financeurs, elle porte et accompagne des projets longs par nature à l’exacte bonne échelle d’intervention, le plus en proximité des besoins des habitants. Elle change profondément l’image des villes et des quartiers et concourt à leur attractivité.

De 2004 à 2021, les résultats sont considérables et parlent d’eux-mêmes : 408 500 logements ont été réhabilités, 175 000 ont été démolis, et 220 000 construits selon les meilleures normes environnementales, dont 80 000 au titre de la diversification de l’offre de logements en vue de favoriser de la mixité sociale. Non seulement nous avons transformé la physionomie des villes et permis le désenclavement des quartiers, mais nous avons profondément changé la façon d’habiter ces quartiers. La production de logement social et en accession enrichit l’offre de parcours résidentiel pour tous : en étude, en démarrant sa vie professionnelle et agrandissant sa famille, pour y vieillir sereinement. Dans cette dynamique l’ANRU cherche ainsi à améliorer la qualité de vie dans les logements et alléger le poids des factures d’énergie de tous.

Pour les 450 quartiers concernés par l’ANRU 2 en cours dont 100% des projets sont contractualisés et plus des 2/3 sont engagés, la question climatique est au cœur des préoccupations. D’ici 2030, 3300 équipements publics auront été construits ou restructurés dont 800 écoles où le cadre d’enseignement, les besoins de fraîcheur, de nature, y sont particulièrement pris en compte. La rénovation énergétique des logements est aussi un défi majeur. Encore une fois les résultats sont assez clairs : les rénovations accompagnées par l’ANRU entraînent une division par deux de la consommation énergétique des logements et ont permis à 80 % des habitants concernés de sortir de la précarité énergétique. Concrètement, c’est un meilleur confort thermique chez soi et une facture d’énergie réduite, donc plus de justice sociale et moins d’émissions de CO2.

L’ANRU est un outil formidable d’innovation et d’accélération des transitions indispensables à la fabrique de villes plus inclusives, plus sobres et plus durables.